Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, habituellement prudent dans ses propos, s’en prend frontalement au gouvernement sur le dossier du Livret A.
« Je préfère dire ce que je pense, plutôt que chercher à faire plaisir à certains ou me résoudre à baisser les bras, c’est le prix de l’indépendance. » Alors c’est parti pour quelques vérités, et c’est plutôt rare dans la bouche du prudent Christian Noyer. Prudent, car la parole d’un gouverneur de la Banque de France n’est pas sans portée, même si, dans le cadre des Matins HEC-Challenges, elle s’adressait d’abord au parterre d’alumni rassemblés pour l’occasion.
Mais à une semaine de la conférence de presse du chef de l’Etat, Noyer n’a pas hésité à mettre en garde – à sa façon – l’exécutif : « Si la France ne poursuit pas ses réformes structurelles, alors elle ne profitera que très peu de l’assouplissement monétaire de la Banque centrale européenne » décidée à Francfort le jeudi précédent. Et le gouverneur, membre de droit du Conseil de la BCE, de mettre les points sur les i : « La stratégie d’assouplissement monétaire d’une banque centrale ne donne toute son efficacité que pour les économies très flexibles, et donc très réactives, comme le démontre le succès de la politique de quantitative easing [QE] de la Fed aux Etats-Unis. » Ce fameux QE, sur lequel il admet avoir « évolué dans son analyse », en constatant que « la politique du taux d’intérêt zéro de la BCE comme les premières mesures de rachats de dettes privées s’étaient avérées insuffisantes pour relancer la croissance dans la zone euro et assurer le retour vers notre cible d’inflation« .
Un taux qui ne passe pas
Manifestement déçu par les débats stériles sur l’opportunité de la loi Macron, le gouverneur de la Banque de France semble très préoccupé à l’idée de voir le gouvernement caler sur le chemin des réformes structurelles : « Ce n’est pas parce que les négociations entre les organisations syndicales et le Medef sur les seuils sociaux ont échoué qu’il faut abandonner ce dossier crucial pour faciliter les embauches. »
Très en verve en dépit d’une grippe tenace, le banquier central s’épanche : « La France a la mauvaise habitude d’adopter en même temps des mesures qui vont dans le bon sens et d’autres qui les rendent trop complexes, voire inapplicables, comme sur la réforme des retraites, où, d’un côté, l’exécutif a décidé de rallonger la durée de cotisation, mais, de l’autre, il met en place le mécanisme complexe et coûteux de la pénibilité. » Soucieux d’introduire plus de flexibilité sur le marché du travail, Noyer plaide aussi pour l’abandon « du système de revalorisation générale du smic au profit d’une négociation par branche ou au niveau des entreprises ».
Trois semaines après la décision du gouvernement de laisser le taux du livret A inchangé, Christian Noyer reste très remonté sur ce sujet. « Maintenir la rémunération à 1% constitue, selon moi, une erreur grave, compte tenu de la faiblesse actuelle de l’inflation, estime Noyer, qui avait proposé de la réduire de 0,25 point. Abaisser ce taux de 1 à 0,75% permet la construction de milliers de logements sociaux. » Et le gouverneur d’avancer un autre argument massue : « Cette décision va aussi, ce qui me semble très grave, à l’encontre de la politique monétaire de la Banque centrale européenne, qui fait justement son maximum pour ramener les taux d’intérêt à leur niveau le plus bas possible dans la zone euro, afin de relancer la croissance. » Autrement dit, en faisant le choix du statu quo sur le taux du livret A, la France semble « organiser la résistance pour empêcher l’action de la BCE » !
Rare autocritique
Mais Christian Noyer n’avait pas que le gouvernement français dans sa ligne de mire. Enfilant son costume de membre du Conseil des gouverneurs de la BCE, il a aussi vivement réagi aux premières déclarations pour le moins belliqueuses du ministre grec de l’Economie et des Finances Yanis Varoufakis concernant la renégociation de la dette. Et précisé sa pensée, après une prise de position apparemment mal traduite dans le quotidien allemand Handelsblatt, laissant ouverte la porte d’un réaménagement. Sans doute espère-t-il que, après avoir été dans la poésie de la facilité en tant qu’économiste, Varoufakis atterrisse très vite comme ministre…
Sans concession avec les dirigeants politiques, le haut fonctionnaire français s’est livré, avant de conclure, à une sincère autocritique de sa génération, plutôt rare dans les cercles de l’élite de la République : « Nous avons hérité à la fin des années 1960 d’une nation en croissance peu endettée et offrant le plein-emploi. Mais à cause de nos choix d’un Etat toujours plus lourd et d’une dépense publique ininterrompue, nous laissons à nos enfants, qui prendront leur retraite à 65-67 ans, voire plus tard, un pays endetté, avec un niveau de chômage insupportable et un faible potentiel de croissance, regrette-t-il. Il devrait nous en être tenu rigueur dans l’histoire. »