En dépit des réserves de l’Allemagne et contre toutes les bonnes pratiques des banques centrales, la Banque centrale européenne (BCE) a finalement décidé d’appliquer un programme massif de rachat de dettes souveraines. Abandonnons un peu les chiffres et intéressons-nous aux principes et aux conséquences de long terme de cette décision.
Il n’y a aucune raison de penser que les pays, qui pour la grande majorité ne parviennent déjà pas à contrôler l’expansion de leur dette, y parviendront davantage demain. La question est maintenant la suivante : que se passera-t-il lorsque ces États seront en défaut de paiement ?
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Tous les pays dits riches finiront tôt ou tard par constater un défaut de paiement partiel plus ou moins important de sorte que les banques centrales constatant ce défaut rééquilibreront leur bilan par une dépréciation relative de leur monnaie. Mais comme tous les pays seront dans une situation plus ou moins équivalente, les valeurs relatives des grandes monnaies ne changeront pas beaucoup.
Pour le consommateur l’impact sera apparemment neutre. On pourrait ainsi d’ailleurs reproduire un deuxième cycle d’émission du Trésor suivi d’un deuxième abandon de créance et ainsi de suite, sans fin. L’intérêt pour les États étant évidemment de court-circuiter le marché, lequel, s’il constatait un défaut de paiement, fermerait le robinet du financement, tandis qu’il est facile pour une banque centrale d’émettre sans fin de la monnaie.
Pourquoi l’accroissement monétaire ne génère-t-il pas d’inflation ?
Mais la question suivante est évidemment que devient toute cette monnaie émise par la ou les banques centrales ? Comment se fait-il que toute cette monnaie ne se traduise pas par de l’inflation, dans un contexte de stabilité économique ? La réponse est en réalité fort simple.
Lorsqu’on indique que moins de 1 % des personnes détiennent la moitié de la richesse mondiale cela signifie, que dans une économie hypertrophiée, certaines richesses dépassent de beaucoup les besoins de consommation des bénéficiaires. Cette monnaie, que l’on pourrait appeler de l’hyper-épargne, ne peut donc être recyclée directement. Cette hyper-épargne est stockée et mise à disposition sur le marché qui bénéficie ainsi d’un accès aisé à la monnaie et des taux très bas.
Ceci est une raison précise de l’accroissement continu de la masse monétaire qui est passée de 5 % à plus de 20 % de l’activité en l’espace de quarante ans. Une grande partie de cette monnaie excédentaire, vient financer les dettes souveraines. Les États forcent ainsi le recyclage de cette monnaie et lorsque les États tomberont en défaut de paiement, ils auront ainsi forcé cette épargne excédentaire à un recyclage économique qui malheureusement touchera aussi indistinctement les petits épargnants.
Nous devons alors distinguer deux cas :
– En cas de défaillance sur des bons du Trésor cédés à des institutions privées, nous constatons une réduction de la masse monétaire car les épargnants perdent leur argent.
– Dans le deuxième cas, la banque centrale émet de la monnaie pour équilibrer son bilan lorsqu’elle rachète des bons du Trésor. Lorsqu’un Etat fait défaut sur ces bons rachetés par les banques centrales, la monnaie émise… reste émise.
Pour comprendre les ajustements possibles du système économique dans ce deuxième cas, nous devons comprendre les relations entre la monnaie et le système économique et cette relation ne nous est plus donnée (très schématiquement) par la relation :
Quantité de monnaie en circulation = Niveau d’activité x Niveau des prix
Mais par la relation :
Quantité de monnaie en circulation = (Niveau d’activité x Niveau des prix) + hyper-épargne
Cela signifie que l’ajustement économique relativement à ces sur-émissions monétaires repose, non pas sur deux, mais sur trois facteurs. Nous pouvons assimiler le terme de l’équation « niveau des prix x niveau d’activité » à un fond de roulement économique, c’est-à-dire que l’économie a besoin d’une certaine quantité de monnaie pour fonctionner.
Si la variation de la quantité de monnaie excède la variation « naturelle » de l’activité alors les prix ou l’activité augmenteront, ou si le système manque de monnaie, le système trouve un nouvel équilibre en abaissant les prix ou l’activité, ou les deux tel qu’observé en 1933 aux États-Unis.
Austérité ou endettement ? Un choix impossible
En maintenant l’activité via l’endettement, les États tendent à maintenir une activité pour les plus modestes mais aussi à maintenir le processus d’accumulation de l’hyper-épargne. C’est pour cela, d’ailleurs, que la part de cette hyper-épargne ne cesse de croître relativement à la richesse.
Ainsi, si l’accroissement de la masse monétaire via le programme d’achat par les banques centrales ne génère aucune inflation, c’est que cette monnaie alimente principalement cette hyper-épargne. La réflexion vaut d’ailleurs aussi pour la monnaie créée par les banques de second rang.
Si les États pratiquaient une politique d’austérité, le système manquerait chaque jour un plus d’argent du fait des prélèvements liés à l’hyper-épargne. Le système tendrait donc à s’effondrer en prix et en activité car il manquerait de plus en plus d’argent, lequel serait capté par l’hyper-épargne.
En d’autres termes, le choix pour les États se résume à accroître leur endettement pour stabiliser l’activité et les prix et continuer à alimenter l’hyper-épargne ou pratiquer l’austérité et voir le système s’effondrer en prix et en activité faute de monnaie.
Ceux qui nous ont suivis jusqu’ici n’auront aucune difficulté à comprendre que l’impasse monétaire et budgétaire des États provient directement de l’hypertrophie économique. Ce qui revient à dire que notre système devenu trop gros entraîne une répartition très inégale de la richesse, à l’origine précisément des désordres monétaires.
À court et moyen terme, aucun Etat ne laissera les prix et surtout l’activité s’effondrer. On ne peut donc pas dire que l’hypertrophie monétaire conduira à un effondrement économique.
On peut seulement dire que l’hypertrophie économique, lorsqu’elle s’accompagne d’une importante disparité de revenus, entraîne des désordres monétaires dont la seule conséquence possible est une défaillance des États sur leurs dettes souveraines.
Bruno Mortier (Audit & Risk Management, Solvay)